
La bataille des Anciens et des Modernes...
Lorsque j’étais petit, je lisais beaucoup mais dans le plus grand désordre ce qui me tombait sous la main. C’était Arsène Lupin de Maurice Leblanc aussi bien que le siècle de Louis XIV de Voltaire dans une petite édition de poche du XIXe que j’avais trouvée au grenier de la vieille maison de grand-mère. Le papier en était jauni et un ver avait commencé à y faire quelques trous. J’aimais aussi voyager au hasard des pages d’une énorme encyclopédie en un volume, mais un volume si volumineux qu’il me semblait bien en savoir plus sur le passé que deux ou trois grands-pères. Reliée d’un vieux cuir rouge abondamment doré au fer, elle avait dû être consultée par les leurs, de grands-pères. J’observais également avec attention la description des machines, les plans, les formules chimiques dans l’encyclopédie agricole plus récente. Je serais volontiers devenu alchimiste ou bien je m’imaginais empereur ou président de la République universelle, explorateur inconnu dans un appareil volant entre les planètes (lorsque je faisais suffisamment confiance à la fermeture hermétique de l’habitacle pour me préserver du vide intersidéral et que je disposais d’assez de piles pour produire par électrolyse l’oxygène nécessaire à ma survie) ou bien encore, voyageant plus tranquillement, dans l’atmosphère terrestre, à la recherche de quelque île déserte où la main de l’homme n’avait encore jamais posé le pied comme disait le professeur Tournesol dans les aventures de Tintin sur la lune. Sur ce, j’avais vu à Paris, à l’âge de huit ans, une adaptation pour l’opérette des Quatre Mousquetaires d’Alexandre Dumas. Et comme c’était mon anniversaire, je ne visitais les monuments de la capitale et le métro qu’avec la mallette de médecin que j’avais reçue en cadeau. Autant dire que je n’étais plus un génie en herbe !
Lorsque j’entendis parler de la fameuse Bataille d’Hernani, la célèbre bataille des Anciens et des Modernes, je me mis résolument du côté des modernes contre l’obscurantisme – sans doute sous l'influence de l’encyclopédie agricole. Je savais, bien sûr, que la situation avait rapidement tourné au désavantage des modernes, suite aux malheureux événements de 1830 qui avaient rapidement renforcé l’ordre établi et le conservatisme le plus bourgeois. Cependant, dans mon admiration de l’architecture antique et du de l'universalisme des anciens (avant Jésus-Christ, bien évidemment), j’étais choqué par l’arrogance spécialisatrice de ce monde trop moderne qui méprisait la philosophie et tout ce qui ne devenait pas immédiatement utile et profitable et j’avais de plus en plus d’inclination pour les classiques. Je ne savais pas exactement où s’était déroulée la bataille d’Hernani, mais je m’imaginais volontiers en général romain, voire sur le cheval d’Alexandre le Grand, chevauchant dans les champs catalauniques à la tête de mes fidèles armées contre ces barbares et insolents Modernes qui se refusaient à reconnaître la supériorité du rêve sur les banalités de la vie quotidienne.
ML